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La voix des chrétiens palestiniens est unanime pour deux États


 © Andrea Krogmann

Le patriarcat latin multiplie les efforts pour venir en aide aux chrétiens du diocèse. Toutes les équipes sont mobilisées pour entendre les demandes et essayer d’y répondre. Nous avons rencontré Mgr William Shomali, vicaire patriarcal pour Jérusalem et la Cisjordanie, pour avoir des nouvelles de la communauté qui lui est confiée.

Propos recueillis par Andrea Krogmann

Mgr Shomali, le monde en Terre Sainte a beaucoup changé depuis l’attaque de Hamas le 7 octobre et la guerre à Gaza. Quelles sont les conséquences sur les chrétiens palestiniens ?

Depuis le 7 octobre, les chrétiens vivent plus que jamais dans l’incertitude. Environ 40 % des chrétiens à Jérusalem et 1/3 des chrétiens en Palestine travaillent directement ou indirectement dans le tourisme. Ils sont guides, chauffeurs de bus touristiques, employés dans des hôtels etc. Le Covid avait porté un coup au secteur. À peine se remettait-il que le 7 octobre est arrivé. Depuis, il n’y a plus de pèlerins, et ces chrétiens souffrent de la perte de leur emploi ou d’une baisse dramatique de leur revenu. Basé sur des études et statistiques, le patriarcat latin estime que, dans le seul secteur du tourisme, 3 000 chrétiens ont perdu leur emploi, sans compter des centaines qui travaillaient comme ouvriers en Israël dans le bâtiment et dans d’autres secteurs et qui ont également perdu leur emploi. Alors, les chrétiens sont dans la perplexité, même si la situation des chrétiens de Jérusalem est meilleure que la situation en Palestine ou à Gaza.

Pourquoi cela ?

Les chrétiens de Jérusalem bénéficient du système d’assurance maladie et touchent le chômage s’ils étaient dans le tourisme. Les chrétiens de la Cisjordanie se sentent quant à eux emprisonnés. Non seulement ils ne peuvent pas se rendre à Jérusalem, mais ils sont également confrontés à de nombreuses difficultés de mouvements à l’intérieur de la Cisjordanie. Ceux qui avaient des permis de travail en Israël ne peuvent plus sortir car, quand leur permis n’est pas suspendu, les check-points sont fermés. C’est un facteur de souffrance qui s’ajoute à d’autres, comme la situation économique et le fardeau psychologique.

Dans certains secteurs, la population craint les attaques des colons. À Taybeh par exemple, des colons ont attaqué des villageois pendant la récolte des olives. Finalement, la police est venue les repousser, mais ils auraient pu causer un désastre comme dans d’autres villages palestiniens.

La violence des colons s’est-elle intensifiée depuis le 7 octobre ?

Oui, même si cela est plus visible dans le nord de la Cisjordanie, où les chrétiens sont moins nombreux. Les colons sont de plus en plus armés. Ils ont été encouragés en cela par des membres du gouvernement comme le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir. Tout ça rend l’avenir obscur et certains chrétiens pensent à partir.

Avez-vous une idée du nombre de candidats à l’émigration ?

Nous n’avons pas de statistiques exactes sur ceux qui ont émigré depuis octobre. Mais nous savons que des familles sont parties. En même temps, il y a une grande différence entre désirer partir - qui est partagé par beaucoup de chrétiens de Cisjordanie - et pouvoir partir. Cela coûte cher. En plus, les chrétiens palestiniens ont une conscience patriotique forte.

L’idée d’un État palestinien à côté d’un État israélien, la fameuse solution des deux États, est-elle toujours pertinente après le 7 octobre ?

La voix des chrétiens palestiniens est unanime pour deux États. Une chose est sûre, il est impossible de laisser la situation telle quelle. C’est l’absence de solution qui encourage le plus le fondamentalisme islamique. Le Hamas n’aurait pas fait ce qu’il a fait sans l’impasse où nous sommes.

Constatez-vous aussi une radicalisation des chrétiens ?

Non, pas en Palestine ! Prenons l’exemple de Gaza : aucun chrétien de Gaza n’est avec Hamas !


© Marinella Bandini/CTS

Parlons des chrétiens de Gaza…

1017 chrétiens de Gaza avant la guerre. Ils ont décidé de rester à Gaza-Ville et de ne pas obéir aux ordres d’évacuation, parce qu’ils estiment être plus en sécurité entre les murs de leurs églises qu’au sud de la bande de Gaza. Ils se sont réfugiés 2/3 dans le complexe de la paroisse latine et 1/3 à la paroisse grecque-orthodoxe. Ils manquent cruellement d’électricité, d’eau, de nourriture. Ces jours-ci, heureusement, ils ont pu acheter des sacs de farine. Ils ont aussi reçu des poulets congelés, ce qui est difficile à cuisiner parce qu’il n’y a ni électricité ni gaz. La majorité des chrétiens ont perdu leurs maisons qui ont été détruites. Ils vivent dans nos écoles. Nous ne pourrons pas reprendre les activités scolaires avant que les gens aient reconstruit leurs appartements. Actuellement, nous continuons à payer les enseignants des deux écoles latines. Nous admirons ces Gazaouis qui ont une résistance extraordinaire, mais la situation est horrible. Tous n’aspirent qu’à partir.

C’est-à-dire, des familles chrétiennes quittent ?

Plusieurs sont parties. Les binationaux. Mais l’Égypte demande entre 7 000 et 10 000 dollars par personne pour sortir. Certains ont réussi à payer, d’autres collectent de l’argent. Le patriarcat avec l’aide de la Jordanie a réussi à faire partir plusieurs jeunes chrétiens qui étudient dans notre université catholique de Madaba. Ils sont contents de vivre en Jordanie jusqu’à la fin de leurs études, mais ils ne savent pas quel sera leur destin après.

Que pense l’Église de l’émigration des chrétiens de Gaza ?

L’église respectera les décisions prises. Nous continuerons d’aider ceux qui restent. Nous n’aurons pas les moyens d’aider ceux qui partent. Une association américaine a proposé d’aider les chrétiens à quitter via le pont humanitaire mis en place avec Chypre. Le patriarcat ne l’a pas accepté car il est impossible de quitter Gaza sans coordination avec l’armée israélienne. Ce qui serait perçu comme une forme de collaboration avec les militaires, et mettrait en danger tous nos chrétiens et au-delà dans le Moyen-Orient.

Voyez-vous des changements dans la coexistence entre musulmans et chrétiens en Cisjordanie ou à Jérusalem depuis la guerre ?

Pas tellement, car tout le monde a été pris par la compassion envers ceux de Gaza, surtout que les difficultés étaient les mêmes pour les chrétiens et les musulmans. Nous sommes dans le même pétrin.


La communauté chrétienne vit dans la prière la situation de la guerre, autant qu’elle peut.
© Silvia Giulano/CTS

 

Et les relations des chrétiens de Jérusalem avec les juifs ?

Il faut distinguer entre la politique et le dialogue interreligieux. Au niveau interreligieux, il y a le dialogue entre les Églises et les juifs du monde. Ce dialogue ne s’est pas arrêté, mais à cause de la situation politique, il est très limité. Ceux qui se connaissaient avant restent en contact. Personnellement, j’ai reçu récemment un groupe de juifs canadiens, et nous avons eu un très bon échange. Nous croyons que le dialogue est bénéfique pour tous, même si la visite des chefs des Églises chez le président israélien en décembre a provoqué des réactions très dures chez une partie des chrétiens palestiniens.

Que pensent vos chrétiens du rôle de l’Église dans cette guerre ?

Il y a une diversité d’approches. Certains pensent que les Églises sont trop neutres ou trop pro-israéliennes et souhaitent qu’elles s’engagent davantage pour les Palestiniens. Notamment les intellectuels chrétiens palestiniens sont très critiques. D’autres disent que les Églises ne doivent pas se mêler de politique et que leur rôle est surtout de soutenir les aspects humanitaires.

Une approche adoptée par le patriarcat latin…

Oui. L’appel du patriarche après le 7 octobre a eu une réponse favorable grâce à laquelle nous avons pu établir un programme d’aide humanitaire. Avec ce programme, nous aidons les personnes malades à obtenir leurs médicaments, nous subventionnons des opérations médicales, des bourses d’études, des loyers et nous aidons des familles en difficultés financières. Avec la société Saint- Yves, nous travaillons à améliorer la situation aux check-points. Les Églises ont réussi à augmenter un peu les quotas des permis d’entrer en Israël pour leurs travailleurs de Palestine, même si cela ne satisfait pas toutes les demandes. Nous savons que notre aide est insuffisante pour compenser la perte des revenus, mais maintient les familles hors de la misère, en attendant des jours meilleurs.

Quel avenir voyez-vous pour les chrétiens palestiniens ?

Je prévois que la baisse du pourcentage des chrétiens Palestiniens se poursuivra. Pourtant leur nombre actuel se maintiendra. Je suis certain que même dans mille ans il y aura autant de chrétiens autour des Lieux saints. Mais leur pourcentage sera alors dérisoire. Cependant le Seigneur peut nous préparer des surprises. Pour le moment nous espérons – et prions pour – une solution politique du conflit actuel et pour que les pèlerins puissent revenir. Nos chrétiens ont toujours travaillé dans le secteur d’accueil. C’est une des raisons de leur survie. Alors que les pèlerins ne peuvent pas concevoir la Terre Sainte sans les chrétiens Palestiniens, ceux-ci ne peuvent pas concevoir leur survie sans l’afflux des millions de pèlerins.

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