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La communauté chrétienne slave d’Israël est encore en gestation


© Saleem Mussallam
Une longue histoire. La présence chrétienne russe est visible dans le paysage de Jérusalem,
ce sont les croyants israéliens slaves qui se font discrets.

Dans les valises de la vague d’émigration juive en provenance d’Union soviétique se sont invités des chrétiens. Leur nombre est sujet à discussions.
Si la plupart sont orthodoxes on compte également parmi eux des catholiques de rite oriental.
Le défi de ces chrétiens nouvellement israéliens n’est pas de se compter mais de vivre et éventuellement transmettre leur foi dans l’État juif qui les accueillit comme tels.

Par Marie-Armelle Beaulieu

En 2006, le Bureau central des statistiques israélien estimait leur nombre à 27 000, les chercheurs avançaient qu’ils étaient à minima le double. Le 21 décembre 2022, le même Bureau israélien des statistiques estime leur nombre à près de 45 000 mais les observateurs affirment que le nombre est toujours sous-estimé et que l’on doit pouvoir parler de 70 000 à 100 000 personnes

Le nombre des chrétiens arrivés dans les bagages de l’importante migration à destination d’Israël de juifs en provenance de l’ex-Union Soviétique demeure un mystère et pourrait le rester. Sur le million de juifs arrivés entre 1989 et l’an 2000, on a entendu parler d’un quart et même d’un tiers de chrétiens. Jusqu’à aujourd’hui personne ne semble être en mesure d’avancer des chiffres vérifiés et vérifiables d’autant que le flou artistique est savamment entretenu par toutes les parties en présence.

Des chrétiens dans l’alyah juive


© Olivier Fitoussi/Flash90

Les chiffres les plus impressionnants viennent de sources russes qui déclarent – sous le manteau – que 70 % du million de juifs étaient chrétiens ! Le père Alexander Winogradsky, archiprêtre d’origine ukrainienne, mandaté auprès de la communauté slave en Israël par le patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem, décrypte ces informations : “Ces sources se basent sur un événement majeur : les commémorations en 1988 du millénaire du baptême de la Rus’. Le communisme s’effondrait complètement avec ses logiques internes.  L’Églises est sortie des catacombes et la Russie a (re)découvert qu’elle était profondément chrétienne et qu’elle est basée sur la foi chrétienne. Alors la population dans toutes ses composantes est allée en masse recevoir le baptême y compris des juifs, par milliers. Il y avait alors trois millions de juifs en URSS et ils sont vraiment très nombreux à avoir reçu le baptême”. Quelques mois après ces baptêmes massifs, furent signés les premiers accords avec Gorbatchev ouvrant la voie à l’alyah (la montée) en Israël. Selon le père Alexander, seulement 10 % des juifs originaires d’Union soviétique sont en mesure de montrer la kétouba – l’unique document susceptible de “prouver” la judéité – et 0 % des juifs baptisés en 1988 de produire un certificat de baptême puisqu’il leur n’en a pas été donné.

Quand bien même ces juifs auraient été baptisés volontairement à cette époque, avaient-ils une pratique chrétienne ? Pour certains oui.

Rebeca Raijman et Yael Pinsky, auteurs d’un article intitulé : “Religion, ethnicité et identité : anciens soviétiques immigrants chrétiens en Israël”, rappellent que “le judaïsme en Union Soviétique était détaché de sa composante religieuse. Être juif signifiait être membre d’un groupe ethnique (nationalité) mais pas d’une religion. L’identité juive était établie par filiation et les personnes nées de parents enregistrés comme juifs étaient inscrites comme telles sur le passeport interne.” Leur enquête de terrain leur a fait rencontrer des Israéliens, nés de parents juifs (père et mère), se déclarant juifs et pratiquant la foi chrétienne sans y voir de contradiction en Union soviétique autrefois comme aujourd’hui en Israël.

Certains juifs d’ex-Union Soviétique ont donc fait leur alyah en Israël en étant de bonne foi sur leur judéité tout en pratiquant la foi chrétienne.

Cette pratique religieuse étant de l’ordre de l’intime, ils se seraient dispensés d’en informer les autorités israéliennes. Les uns par habitude de ne pas tout dire – on n’a pas vécu 40 ans de surveillance du KGB sans séquelle –, les autres se doutant que certains Israéliens pourraient ne pas apprécier le subtil distinguo.

Le christianisme à l’épreuve d’Israël

Lesdites autorités n’auraient pas été complètement dupes. En étant les premières à élargir la loi du Retour avec la clause dite des petits-enfants, elles s’attendaient à ce que se joignent à l’aventure israélienne ceux qu’elles appelleront plus tard “des juifs non-juifs”, confiantes aussi qu’un bon programme de re-judaïsation de ces populations devait être mis en place. Ce qui fut fait avec un succès mitigé d’après Raijman et Pinsky, le processus de conversion exigé par le Grand rabbinat israélien étant le premier obstacle. En réalité, la majorité s’est simplement sécularisée, diluant ses liens avec le judaïsme ou le christianisme et faisant de “l’être israélien” sa nouvelle religion. Ce qui convenait très bien aux autorités.

D’autres n’ont pas gommé le fait chrétien de leur vie, mais l’ont réduit à un attachement culturel. On a une icône ou une croix à la maison comme une lampe de Hanouka (de la fête des lumières). On fête aussi bien le Novy God, le nouvel an du 1er janvier, à grand renfort de sapins et décorations de Noël que Rosh haShana, le nouvel an juif.

Certains, pour qui la foi chrétienne n’était pas accessoire, ont tâtonné entre deux fidélités, au point de faire renaître en Israël une forme de judéo-christianisme. Faisant le jeûne de Kippour, le repas pascal et participant à la divine liturgie chrétienne orthodoxe sur une base régulière.

D’autres ont carrément choisi les courants messianiques où dans la tradition hébraïque on reconnaît Jésus comme Messie d’Israël.

Parmi les chrétiens slaves arrivés lors de la vague de migration d’ex-Union Soviétique, on trouve aussi les conjoints chrétiens de migrants juifs qui ont continué à pratiquer la foi chrétienne.

Enfin et c’est peut-être le plus surprenant “l’âme russe” confrontée à la réalité israélienne a amené des russes sans attache au judaïsme à choisir la foi chrétienne après leur arrivée en Israël. Ainsi Tatiana témoigne de sa foi chrétienne : “Je suis venu en Israël avec une quête sur le judaïsme, je pensais me convertir, mais je me suis rapprochée du christianisme. Ce n’est pas une contre-réaction au judaïsme d’ici mais le sentiment d’être plus proche de mes racines... Le christianisme est lié à l’endroit où j’ai grandi et vécu et où vivaient mes parents. Il n’y avait pas de juifs dans les générations précédentes de ma famille et le christianisme m’est venu d’un endroit profond à l’intérieur”.

La réponse des Églises


© Anna kaplan/ Flash90
Moscou à Jérusalem Divine liturgie de Noël de minuit dans la cathédrale russe orthodoxe
de la Sainte-Trinité, derrière les bâtiments de la municipalité à Jérusalem.

Avec toutes ces composantes, la fréquentation des lieux saints et monastères, la demande parfois explicite d’accompagnement spirituel, la présence d’une communauté chrétienne émergente en Israël n’est plus passé inaperçue. Et les Églises ont fini par se mobiliser pour ces brebis sans pasteurs. L’Église grecque-orthodoxe a ouvert ses portes en dépit de ses craintes de voir affluer un peuple chrétien orthodoxe qui ne se montrait pas disposé à suivre la tradition grecque. Aujourd’hui sur son site – intégralement traduit en russe – on trouve une page des paroisses russophones. Elles sont au nombre de sept. En Galilée, elles sont desservies par un prêtre arabe israélien russophone.

Tout ce que la Terre Sainte compte de monastères russes a connu un regain de fréquentation et le patriarcat de Moscou a envoyé des renforts. De son côté, la Custodie de Terre Sainte, en accord avec le patriarcat latin, a fait venir deux franciscains ukrainiens qui depuis Jaffa et Haïfa servent la communauté grecque- catholique d’Ukraine.

Mais les Églises sont restées prudentes voire frileuses pour ne pas passer pour faire du prosélytisme interdit par la loi en Israël.

D’après le père Winogradsky, à côté de cette mobilisation souvent tardive, parfois molle, pas toujours adaptée, on a assisté à l’arrivée de prêtres parfois très connus (en Russie) qui sont venus par eux-mêmes ainsi que d’autres membres du clergé avec des compétences variables. Au point que le père Winogradsky dénombre aujourd’hui “dix patriarcats illégaux en Israël, une bonne cinquantaine d’évêques (autoproclamés) qui vont et viennent s’ils n’arrivent pas à obtenir de visa”.

Ces développements “anarchiques” sont rendus possibles parce que ces chrétiens russes d’Israël cherchent une pratique en russe mais qui soit distincte de celle du patriarcat de Moscou. Dans leur étude Raijman et Pinsky rapportent les propos de croyants qui dénoncent le nationalisme russe comme unique référent alors qu’eux se sentent israéliens, ou les prières répétées – en plein territoire israélien – pour la Palestine. À tout le moins, l’indifférence à la réalité israélienne les trouble quand ils n’évoquent pas l’antisémitisme déclaré de certains prêtres du patriarcat de Moscou. Récemment, le conflit en cours entre Russie et Ukraine rebat à son tour les cartes. Des chrétiens d’origine ukrainienne qui suivaient des offices en russe se rendent désormais dans les qehilot, les communautés chrétiennes d’expression hébraïque. Dans ce bouillonnement de foi et de recherche d’identité tant nationale que religieuse, la communauté des chrétiens aux origines soviétiques a une constante : sa prudence. Difficile, sans parler russe ou ukrainien, d’entendre les témoignages. L’assistance à l’office nocturne au Saint-Sépulcre dans la nuit du samedi au dimanche comme la possibilité de se fondre aux pèlerins slaves dans les lieux saints ou monastères continuent d’avoir les faveurs d’une communauté qui cultive encore la mentalité des catacombes. Ce n’est pas près de changer quand une partie de la droite sioniste religieuse stigmatise les “juifs non juifs” en Israël et en fait une menace pour l’État juif tout entier, a fortiori ceux qui confessent la foi chrétienne.

En conclusion, le père Winogradsky estime qu’“Il faudra probablement – comme pour les communautés chrétiennes d’expression hébraïque – une soixantaine d’années pour voir se dessiner en Israël, une communauté chrétienne slave épanouie dans sa singularité.” Reste à voir si un jour, ces chrétiens se sentiront proches, voire frères dans la foi avec la diversité des Églises déjà présentes.

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