Depuis que Mgr Pierbattista Pizzaballa s’est vu confié le diocèse si particulier du patriarcat latin, il revient régulièrement sur la double vocation de Jérusalem comme Église locale et universelle. Nous lui avons demandé quelle place tenaient les pèlerins, quand lui-même déclare aussi le pèlerinage comme constitutif de l’ADN de la ville sainte.
- Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
Éminence, vous dites régulièrement de l’Église de Terre Sainte qu’elle est une Église locale et universelle. Qu’entendez-vous par là ?
Il y a différentes façons de le voir. La première c’est qu’il se trouve que la communauté chrétienne de Terre Sainte n’est pas constituée seulement d’arabes ou de Palestiniens. Il y a des chrétiens qui viennent d’ailleurs dans le Proche- Orient avec une variété de rites. Certains catholiques, d’autres pas. Il y a aussi la communauté chrétienne d’expression hébraïque, la communauté des migrants, la communauté des chrétiens issus du monde entier qui vivent ici, notamment dans les institutions religieuses. Chacun vit ici avec sa propre culture chrétienne et nous sommes ensemble pour constituer l’unique Église de Dieu. Nous essayons d’avancer ensemble. C’est très beau et très intéressant. Cette variété nous ramène à la Pentecôte “Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie etc.” (Ac 2, 9-11). Tous ont reçu le même Esprit. Ils sont issus de différentes cultures, ils ont différentes langues, mais ils se comprennent. Nous essayons encore de nous comprendre, mais nous sommes là.
Il nous revient de préserver ensemble les fondements de l’histoire de la Révélation. Physiquement dans la géographie de cette terre. Mais aussi spirituellement et théologiquement : Jésus est né ici dans un contexte régional culturel spécifique. C’est essentiel et pas seulement pour nous mais pour toute l’Église, car si chaque chrétien, partout dans le monde, doit vivre la foi dans sa propre culture, il y a quelque chose qu’il ne peut pas changer : la façon dont la Révélation nous a été manifestée et c’est ici qu’elle s’est révélée. Ce patrimoine de l’Église, il nous revient de le préserver, de l’annoncer et de le partager au monde entier.
Enfin, cette terre est un carrefour de cultures, de religions, comme nous le voyons particulièrement dans la situation dramatique que nous vivons en ce moment et qui exprime aussi le choc de différentes cultures. C’est une blessure profonde dans la vie du monde. Au creux de cette blessure, en tant qu’Église, nous devons nous rappeler et rappeler au monde, ce que nous savons de Jésus sur la croix. Si cette blessure affecte la vie du monde, ce dont nous témoignons depuis Jérusalem, en communion avec le pape, avec les autres Églises, peut également toucher le monde.
Dans ce panorama quelle est la place des pèlerins ?
Les pèlerins sont essentiels. J’utilise volontiers l’image des poumons. L’Église locale dans sa diversité et les pèlerins sont les deux poumons dont nous avons besoin. Nous pouvons vivre avec un seul poumon, mais ce n’est pas pareil.
Il est clair que la Terre Sainte est pour tous les chrétiens - et donc tous les pèlerins - une patrie spirituelle. Aussi quand ils viennent ici, ils font pleinement partie de la vie de la communauté, de la communauté locale, ils sont membres à part entière de l’Église de Terre Sainte.
Nous sommes en guerre et les pèlerins sont absents. Dans quelle mesure cela affecte-t-il l’Église de Jérusalem ?
On peut vivre avec un seul poumon, mais la vie est plus difficile. L’absence des pèlerins crée de nombreux problèmes économiques et financiers pour quantité de familles chrétiennes qui vivent de l’industrie du pèlerinage. Mais surtout, sans eux nos villes, Jérusalem, Nazareth, Bethléem, sont tristes.
D’une part les pèlerins manifestent l’universalité de l’Église et son lien avec la Terre Sainte. Sans eux, la minorité numérique se fait davantage sentir. Mais les pèlerins apportent aussi avec eux curiosité, désir, joie, émotions, et autres sentiments qui sont contagieux. Des sentiments qui nous réveillent alors que nous risquons de nous habituer à la beauté de notre patrimoine.
Voyez-vous une différence entre l’absence des pèlerins pendant le Covid et maintenant ?
Ce n’est pas du tout la même chose. Le Covid était une situation universelle. Tout le monde vivait la même chose. Avec cette guerre, ce sont les mêmes conséquences pratiques mais l’état d’esprit est totalement différent. Il est fait d’inquiétude du présent et de l’avenir, de préoccupations et surtout de peurs pour le pays et ses habitants. C’est totalement différent.
Si vous aviez une demande à faire aux pèlerins quelle serait-elle ?
C’est une chose à laquelle je tiens. Pendant le pèlerinage, il y a toujours un dimanche. J’aimerais que les groupes se joignent, là où ils sont à une messe paroissiale, ou cherchent à se rendre dans une de nos communautés. Même s’ils ne com- prennent pas la langue de la liturgie, j’aimera i s qu’i l s prennent un temps pour être en prière avec la communauté locale.
Souvent dans nos paroisses à l’issue de la messe, il y a un moment de partage autour d’un café. À ce moment-là, on peut essayer d’échanger. Il y a des millions de pèlerins par an, je mesure bien que ce n’est pas possible pour tout le monde. Mais nous avons besoin de vivre à pleins poumons.