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Palestine : l’arrêt des pèlerinages est une catastrophe économique

Kassam Maadi

12 octobre 12, 2020


Les consignes pour la visite en temps de pandémie de la basilique de la Nativité à
Bethléem trônent sur un parvis désespérément vide. ©Andrea Krogmann.


L’industrie du tourisme et des pèlerinages est un des piliers de l’économie palestinienne. Tony Khashram, président de l’association des opérateurs du tourisme en Palestine, explique les conséquences de l’arrêt imposé depuis mars par la fermeture des frontières du fait de la pandémie de Covid-19. La communauté chrétienne est particulièrement affectée.

Le tourisme et les pèlerinages sont à l’arrêt depuis le mois de mars. Quelles sont les conséquences financières pour cette industrie-phare de la Palestine ?

À la fin du mois d’août, les pertes du tourisme en Palestine ont dépassé les 320 millions de dollars. Cet argent ce sont les salaires de tous les acteurs du tourisme. Dans notre réseau, le plus grand rassemblement d’entreprises privées de tourisme, toutes les réservations ont été annulées. Cela veut dire que tous les fournisseurs de services, les hôtels, les transports, les commerces, les restaurants, les guides n’ont plus aucun revenu depuis fin février.

Ces chiffres sont ceux de la Palestine, un pays de moins de six millions d’habitants, où le tourisme est l’un des piliers principaux de l’économie. La crise que nous traversons actuellement est catastrophique. La pire que le tourisme palestinien ait connue de toute son histoire.

Durant les intifada, le tourisme et les pèlerinages avaient déjà été gravement affectés. Pourquoi dites-vous que la crise actuelle est la pire de l’histoire ?

Parce que pendant les années d’intifada le tourisme et le pèlerinage ne se sont pas arrêtés complètement. Au début de l’an 2000 par exemple, lors de la deuxième intifada, il y a eu une chute de presque 90% du tourisme. Mais dans les mois suivants, les groupes ont repris même en petit nombre. Les acteurs du tourisme arrivaient à survivre. L’aéroport était resté ouvert et il y a toujours eu du trafic aérien et des voyageurs.

Avec la crise actuelle, nous avons connu une chute de 100% de l’activité du jour au lendemain, sans reprise jusqu’à maintenant. C’est comme si l’on disait à tous les avocats du pays un bon matin qu’ils doivent arrêter de travailler, ou aux boulangers qu’ils ne peuvent plus du tout faire de pain.

La nouveauté aussi c’est que les intifada ne touchaient que la Terre Sainte. Dans le reste du monde le tourisme continuait, et nous n’avions qu’à raccrocher le mouvement. Cette fois-ci, c’est le monde entier qui s’est arrêté, et il faudra beaucoup plus de temps pour reprendre le rythme, l’habitude même de voyager.

Vous avez déclaré au journal Al-Hayat, en juin dernier, que la crise frappe le tourisme en Palestine dans une période de croissance. Cela a-t-il un impact particulier ?

Le tourisme en Palestine a connu une croissance importante depuis 2017. En 2019 cette croissance était arrivée au sommet. Le secteur a bénéficié d’importants investissements. Des hôtels et des maisons d’accueil ont ouvert dans toutes les régions, comptant des dizaines de milliers de chambres. Beaucoup de gens ont demandé des crédits aux banques à long terme pour y investir, et les banques en ont avancé sans réserve.

La survenue de la crise à ce moment du développement est un coup très dur porté aux investisseurs. Surtout pour ceux qui ont investi dans des projets petits et moyens, comme les maisons d’accueil et les boutiques de souvenirs. À Bethléem par exemple, des centaines de commerçants ont acheté des tonnes de souvenirs, locaux ou importés, destinés aux pèlerins. Certains ont acheté cette marchandise à crédit. Beaucoup de familles ont transformé une partie de leur maison familiale en chambre d’hôtes en s’endettant.

Vous parliez de Bethléem, la communauté chrétienne est-elle particulièrement touchée par la crise ?

Autour de 70 % des chrétiens en Palestine travaillent dans le tourisme, à temps plein ou partiellement. La plupart des agences de tourisme sont des entreprises familiales, ainsi que les commerces liés aux pèlerinages. Le pèlerinage soutient vraiment la présence chrétienne en Terre Sainte. Mes deux fils, par exemple, sont adultes et travaillent avec moi dans notre agence. Si le tourisme ne reprend pas assez tôt, ils partiront à l’étranger chercher de nouvelles opportunités. C’est le cas dans beaucoup de familles.

Mais ce qui est encore plus important, c’est que les chrétiens de Palestine sont ceux qui accueillent les pèlerins en tant que chrétiens locaux. Si les chrétiens disparaissent du secteur, les pèlerins ne rencontreront à l’avenir que des églises vides, des pierres mortes.

Que faudrait-il faire, selon vous, pour sauver le tourisme en Palestine ?

Il faut préparer un plan intégral de commercialisation post-crise, pour attirer des touristes du monde entier chez nous, et il faut commencer à construire ce plan dès maintenant. Le secteur privé ne peut pas le faire tout seul. Le gouvernement palestinien doit intervenir et diriger cet effort. Il s’agit de promouvoir le pays comme une destination touristique, et c’est le rôle du secteur public, du ministère du tourisme.

C’est une urgence nationale, car le tourisme est un pilier de l’économie palestinienne. Si nous ne préparons pas l’après-crise dès maintenant, le tourisme qui arrivera quand les frontières rouvriront sera récupéré par les agences israéliennes, qui profitent du contrôle israélien sur le territoire, les Lieux saints et les sites.

Quel rôle peuvent jouer les Églises dans cet effort ?

Les Églises ont la capacité d’encourager les pèlerins à visiter la Terre Sainte, et elles peuvent le faire dès maintenant. Le pape peut lancer un appel au pèlerinage en Terre Sainte dès que possible, et ça aurait un effet au niveau des Églises locales. Les diocèses, principaux organisateurs des pèlerinages, qui ont des liens directs avec les paroisses en Terre Sainte, concentreraient leurs efforts pour relancer le pèlerinage, et cela encouragerait les voyages vers la Palestine. Doucement, cet effet pourra influencer et aider à relancer les autres secteurs du tourisme.

Mais les Églises locales en Terre Sainte peuvent aussi jouer un rôle. Les différents patriarcats, les évêques, la Custodie de Terre Sainte, peuvent encourager les pèlerins à voyager en lançant un appel à venir en soutien aux pierres vivantes que sont les chrétiens de Terre Sainte. Un appel similaire à celui que les Églises ont fait suite à la deuxième intifada.

Quand pensez-vous que le tourisme en Palestine reprendra son cours, et comment ?

Les conditions actuelles, surtout depuis le début de la deuxième vague du virus, indiquent que la fin n’est pas proche. Le tourisme ne reprendra pas sa croissance avant juin 2021. Il faudra jusqu’à septembre, dans le meilleur des cas, pour que le tourisme en Palestine récupère 25% de la force qu’il avait en 2019. Ça serait suffisant pour sauver le secteur, mais il faudra attendre. Nous sommes dans un moment difficile, mais je suis optimiste. Le tourisme ne peut pas mourir.

En chiffres

Le tourisme en Palestine représente 40% des virements bancaire reçus de l’étranger. Il génère près d’un milliard de dollars et emploie plus de 32 000 Palestiniens directement. Les services : hôtellerie, restauration, guidage et transports soutiennent 10 300 familles palestiniennes.

En 2019 plus de 3,5 millions de touristes ont visité la Palestine et les hôtels ont atteint 70% de taux d’occupation. Cette croissance a encouragé de nouveaux investissements dans le secteur. Depuis 2018 plus de 155 000 nouvelles chambres ont été construites. La chute du nombre de touristes à zéro, à cause de la pandémie, a provoqué des pertes directes de 145 millions de dollars dans le secteur de l’hôtellerie, 7,5 millions pour les restaurants, et 85 millions de dettes pour les propriétaires de bus touristiques. En tout, les pertes du secteur touristique en Palestine ont dépassé en août les 320 millions de dollars.

 

 

 

 


À propose de Tony Khashram

Tony Khashram est le fondateur et directeur général d’Aeolus Tours, une agence de voyages et un voyagiste pour le tourisme entrant et sortant. Il est également président de la Holy Land Incoming Tour Operators Association (HLITOA), une association du secteur privé qui représente 50 voyagistes à travers la Palestine. Il s’est engagé à soutenir l’économie et le PIB palestiniens en renforçant le secteur du tourisme.

Chrétien convaincu, il est aussi le vice-président de la Conférence Saint-Vincent de Paul locale dite du Saint-Sépulcre et le Président du CCAO – Coordination des organisations humanitaires catholiques – Israël et Palestine qui réunit quinze grandes organisations humanitaires catholiques.

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